Isabelle d'Angoulême
LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XIIIe SIÈCLE A VU L’ÉMERGENCE ET L’AFFIRMATION D’UNE DES PLUS CÉLÈBRES PERSONNALITÉS FÉMININES DE LUSIGNAN : ISABELLE TAILLEFER (1186-1246), REINE D’ANGLETERRE, COMTESSE D’ANGOULÊME ET DE LA MARCHE, SURNOMMÉE LA " COMTESSE REINE ".
Gisant Isabelle d'Angoulême |
En l’an 1200, Isabelle Taillefer, théoriquement héritière du comté d’Angoulême, se préparait à épouser son fiancé, Hugues IX, seigneur de Lusignan et, depuis peu, comte de la Marche ; mais elle a été enlevée par le nouveau roi d’Angleterre, Jean Sans Terre. Isabelle, fille d’Aymar d’Angoulême, était en effet considérée comme l’héritière du comté. Pourtant, sa cousine Mathilde, fille de Vulgrin, frère aîné d’Aymar et comte avant lui, avait aussi des droits auxquels elle finit par renoncer quelques années plus tard, à la demande d’Isabelle et contre dédommagement.
De l’union d’Isabelle et de Jean sont nés six enfants dont le futur roi d’Angleterre, Henri III Plantagenêt. Devenue veuve en 1216, elle a été écartée de la régence de son jeune fils par le conseil d’Angleterre et est revenu dans son comté d’Angoulême qu’elle a administré pendant trois ans. Très rapidement, elle a cependant du faire face à la convoitise que celui-ci suscitait chez ses voisins.
Pour couper court à toutes les menaces, elle a alors décidé en 1220 d’épouser l’un d’entre eux, Hugues X de Lusignan, le fils de son ancien fiancé !! Elle avait alors trente-quatre ans. D’un point de vue territorial, ce mariage entraîna la création d’une nouvelle entité dans la France de l’Ouest dont les bases étaient les comtés de la Marche et d’Angoulême, ainsi que les territoires poitevins des Lusignan (Voir les articles sur les territoires des Lusignan).
Dans le domaine politique, cette union établit un nouveau rapport de force. En effet, depuis le remariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt en 1152, l’Ouest de la France était sous domination anglaise. Cependant, suite à l’enlèvement d’Isabelle et au dommage subi par les Lusignan, sans réparation aucune, une plainte a été déposée devant la cour de France, ce qui permit à Philippe II Auguste d’obtenir un prétexte pour confisquer les terres continentales des Plantagenêts dont il était le seigneur. Aussi, à partir de 1202, les Capétiens mirent progressivement la main sur un grand nombre des possessions continentales des Plantagenêt, à savoir la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine et une partie du Poitou.
Par conséquent, pour consolider leur domination dans la région, Plantagenêts et Capétiens durent chèrement monnayer la fidélité et l’appui militaire du « couple Taillefer-Lusignan » dont l’unique objectif était d’agrandir leur patrimoine et leur puissance aux dépens des deux royautés. L’influence et le rôle d’Isabelle au sein de son couple ont été déterminants. D’une part, elle a aidé Hugues X à devenir l’un des seigneurs les plus puissants du royaume de France; d’autre part, elle a contribué à faire de la famille des Lusignan l’une des plus éminentes de cette première moitié du XIIIe siècle. De son premier mariage, elle réclama à son fils, le roi d’Angleterre Henri III, les terres et les châteaux qu’elle avait reçus en douaire de Jean. Le refus du conseil anglais donna, pour elle, le coup d’envoi à la politique de marchandage du couple au cœur de laquelle se trouvait, de façon récurrente, la revendication du douaire d’Isabelle ou, du moins, sa juste compensation financière.
Ainsi, de 1224 à 1230, Isabelle et Hugues X n’effectuèrent pas moins de quatre revirements d’alliances, à la faveur des avantages concédés tantôt par Henri III, tantôt par les Capétiens. Les nombreux traités d’alliance étaient, pour le couple, l’occasion d’obtenir de ces rois, surtout des Capétiens, des avantages croissants tant territoriaux que financiers. Ils leur permirent d’asseoir pour les dix années suivantes (1230-1240) leur puissance. A leur apogée, leurs possessions s’étendaient sur approximativement sept départements actuels : la Charente, la Charente-Maritime, la Vienne, les Deux-Sèvres, une partie de la Vendée, la Creuse et la Haute-Vienne. Du fait du lignage d’Isabelle, d’ascendance capétienne par sa mère, et du prestige que leur donnait cette nouvelle position, ils purent envisager pour leurs neuf enfants des alliances matrimoniales exceptionnelles. Ils tissèrent ainsi des liens de parenté qui s’étendaient du Midi à la Bretagne et jusqu’en Angleterre. Ils entreprirent aussi de nombreuses constructions comme le Château Neuf d’Angoulême dont l’initiative revint à Isabelle.
D’après les chroniqueurs, c’est Isabelle qui provoqua la rupture d’alliance entre les Lusignan et le roi de France, Louis IX, occasionnant ainsi la chute des premiers. En juin 1241, Hugues X prêta serment de fidélité à Alfonse de Poitiers, le frère du roi, nouvellement promu comte de Poitou. Puis, Louis IX et son frère rencontrèrent Hugues X et Isabelle à Lusignan et à Poitiers, pour régler des problèmes territoriaux. Lors d’une entrevue, Isabelle, compte tenu de son rang de « comtesse-reine », s’estima maltraitée par le roi de France. Humiliée et ivre de colère, elle aurait alors poussé son époux à rompre publiquement son serment. La chose fut faite avec fracas, à l’occasion de la cour plénière réunie pour la Noël 1241 par Alfonse à Poitiers. Isabelle s’empressa de renouer avec son fils Henri III et la guerre fut déclarée au roi de France. Ce conflit se termina par une défaite des Lusignan et de leurs alliés lors de la bataille de Taillebourg et par la signature du traité de Pons (1-3 août 1242). Ce dernier établit la puissance capétienne dans l’Ouest de la France au détriment du roi d’Angleterre et, surtout, du « couple Taillefer-Lusignan ». Pour ces derniers, les pertes furent importantes et le traité, lourd de conséquences. Certes, ils conservèrent leurs comtés respectifs, mais ils perdirent bon nombre de leurs autres possessions territoriales. Les clauses financières furent draconiennes. En outre, ils durent se soumettre au roi de France et lui prêter serment de fidélité ainsi qu’au comte de Poitou.
Puis, très vite, les choses s’accélèrent. En 1243, le couple organisa le partage de ses biens entre leurs enfants. Isabelle se retira ensuite dans l’abbaye royale de Fontevraud, nécropole royale des Plantagenêts, où elle mourut en 1246. Exécuté en Angleterre à la demande de son fils, son gisant fut transporté en 1256 à l’abbaye où il est conservé dans la nef aux côtés de ceux d’Henri II, d’Aliénor d’Aquitaine et de Richard Cœur de Lion. Henri III manifesta ainsi sa volonté de compléter un grand ensemble familial.
Exécrable, maléfique, colérique, ... voici un bref aperçu des nombreux qualificatifs dont Isabelle a été affublée- à tort ?-, par des chroniqueurs contemporains ou plus tardifs, influencés notamment par les dires d’espions à la solde de Blanche de Castille, la mère de saint Louis. Cependant, cette réputation est surtout révélatrice du pouvoir et de l’influence qu’elle sut exercer autour d’elle.
BIBLIOGRAPHIE :
Isabelle d’Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246) ; actes du colloque tenu à Lusignan du 8 au 10/11/1996, CESCM, 1999, 193 p. et 31 planches (Disponible à la bibliothèque de l’association).
« Les Plantagenêts; un Empire au Moyen Age », Les collections de l’Histoire, n°59, avril-juin 2013, 98 p.
Plaquette « Les châteaux des Lusignan », association « Les Lusignan et Mélusine », 1996 (En vente dans les locaux de l’association).