Comté de la Marche
LE COMTÉ DE LA MARCHE EST UN TERRITOIRE PEU ÉVIDENT À APPRÉHENDER. CET ESPACE S'EST FORMÉ VERS LE MILIEU DU Xe SIÈCLE AU SUD-EST DU COMTÉ DU POITOU, AU SUD DE CELUI DE BOURGES ET AU NORD DE LA VICOMTÉ DE LIMOGES. UN LIGNAGE SE CONSTITUE ; SON REPRÉSENTANT LE PLUS CONNU S'INTITULE " BOSON, MARQUIS ". SES DESCENDANTS FONT ENSUITE RECONNAÎTRE LE TITRE DE COMTE TOUT EN ACCEPTANT DE DEVENIR LES VASSAUX DU DUC D'AQUITAINE.
Comté de la Marche - vers 1200 |
Très tôt, les Lusignans s'intéressent à ce comté de la Marche, assez proche de certaines de leurs nouvelles possessions. Vers 1040, le seigneur Hugues V de Lusignan épouse Almodis, héritière du comté. Deux fils naissent, Hugues et Jourdain, mais les époux se séparent vers 1045, Almodis se remariant ensuite avec le comte de Toulouse.
CETTE UNION DONNE NÉANMOINS UN PRÉTEXTE SUFFISANT AUX LUSIGNANS POUR DORÉNAVANT REVENDIQUER RÉGULIÈREMENT LE COMTÉ DE LA MARCHE.
Le lignage créé vers le milieu du Xe siècle se maintient sans interruption jusqu'en 1177. Le comte Aldebert IV vend alors son domaine au roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt. Cette décision a priori surprenante a ses raisons que nous donne le chroniqueur anglais Roger de Hoveden : la mort du fils héritier du comte et le voeu de " servir Dieu désormais " et, donc, de ne pas se remarier (Aldebert part effectivement à Jérusalem et meurt à Constantinople en 1180). Le chroniqueur limousin confirme ces explications, mais suggère aussi une pression exercée par le roi d'Angleterre qui souhaitait en fait renforcer son emprise sur les confins méridionaux des territoires sous influence capétienne.
Les Lusignans de leur côté tentent de s'opposer à cette vente, mais visiblement sans succès, du moins jusqu'en 1199.
Cette année marque un tournant : plusieurs chartes, ainsi que des récits de chroniqueurs comme Bernard Itier et Aubry de Troisfontaines, mentionnent Hugues IX comme seigneur de Lusignan et aussi comte de la Marche. Il semble que ce dernier ait mis à profit le chaos qui a suivi le décès du roi d'Angleterre Richard Coeur de Lion, en avril à Chalus, pour s'emparer du comté de la Marche convoité depuis tant de temps. Un chroniqueur raconte même que les Lusignans ont alors pris en otage Aliénor d'Aquitaine et ne l'ont libérée qu'après avoir obtenu le comté en échange d'un hommage au nouveau roi Jean. Ceci peut paraître cavalier ; toujours est-il que Hugues IX et son frère Raoul d'Exoudun, comte d'Eu, sont effectivement allés à Caen rendre hommage à Jean le 21 janvier 1200.
Le seigneur de Lusignan confirme par la suite des qualités indéniables de stratège. La même année, il prévoit de se remarier avec Isabelle Taillefer, unique héritière du comté d'Angoulême. Son objectif est probablement de rassembler les comtés de la Marche et d'Angoulême, ainsi que ses fiefs poitevins afin de former une sorte de principauté qui aurait coupé en deux les possessions des Plantagenêts en France tout en freinant également l'expansion capétienne. Le roi Jean devine le piège et empêche la réalisation du projet en enlevant Isabelle Taillefer et en l'épousant ensuite (voir aussi les articles sur le comté d'Angoulême et les Plantagenêts).
Les Lusignans réagissent vivement : ils se rallient au roi de France et lui demandent de prononcer la commise, c'est-à-dire la confiscation des fiefs du roi d'Angleterre en France, ce que Philippe Auguste finit par accepter le 28 avril 1202.
Un doute demeure cependant sur le sort du comté de la Marche : Jean l'a envahi avec ses troupes, puis l'a remis à son beau-père, Aymar, comte d'Angoulême. Or, les Lusignans conservent dans différentes chartes du début du XIIIe siècle le titre de comte de la Marche, mais leur action est méconnue et on peut se demander s'ils avaient bien le contrôle de ce territoire.
La situation s'éclaircit avec la signature en mai 1214 du traité de Parthenay. Jean, qui prépare alors une offensive contre Philippe Auguste, obtient la fidélité de Hugues IX en échange de la cession définitive du comté de la Marche. A noter qu'en 1220, les Lusignans obtiennent également le comté d'Angoulême suite au remariage d'Isabelle Taillefer avec Hugues X, le fils de son ancien fiancé! Le rêve se réalise alors : constituer un vaste ensemble territorial comprenant le comté d’Angoulême, celui de la Marche et les terres des Lusignan en Poitou. Désormais, le comté de la Marche, indépendant et très original dans sa genèse, va être traité comme faisant partie d’un tout.
L'action des Lusignans dans ce territoire est méconnue à cause notamment de la disparition du cartulaire des comtes de la Marche suite à un incendie. Seule une copie partielle a été faite au début du XVIIIe siècle Il faut donc surtout se référer aux chroniques et à quelques chartes. Elles nous apprennent que l'autorité des Lusignans s'est progressivement renforcée par des mesures comme la création d'un monnayage à Bellac en 1211 et l'octroi de privilèges à différentes communautés d'habitants. Par ailleurs, la " mouvance marchoise " s'est étendue avec l'intégration dans le comté de territoires comme Le Dorat et La Souterraine, ainsi que l'inféodation des vicomtés d'Aubusson et de Bridiers.
Quant à la présence des Lusignans, elle se manifeste à la forteresse de Crozant édifiée dès le XIe siècle. L’ampleur des travaux qu’ils y ont entrepris est difficile à apprécier devant l’absence de témoignage écrit contemporain. Néanmoins, en 1242, Crozant est considérée comme la principale forteresse des possessions de Hugues X et d’Isabelle ce qui démontrerait l’importance du site. Le château de Bridiers se voit aussi doter d’un donjon circulaire à cette période. L’initiative est-elle due aux Lusignans qui viennent de faire entrer cette vicomté dans leur mouvance ?
Tout bascule en août 1242 avec la défaite de Hugues X et de ses alliés face à l'armée royale à Taillebourg (actuellement en Charente-Maritime). Lui et son épouse doivent alors se plier aux exigences de Louis IX : ils se reconnaissent vassaux d'Alphonse de Poitiers, comte de Poitou et de Toulouse, lui confient plusieurs châteaux dont celui de Crozant pour une durée de huit ans. Ceci démontre l'importance stratégique que ce site avait pris et l'intérêt que le pouvoir royal y portait. D'ailleurs, les Lusignans doivent aussi verser 200 livres par an pour l'entretien d'une garnison dans ce lieu.
Ils conservent néanmoins le comté de la Marche; mais de multiples tracasseries d'ordre juridictionnel surgissent entre eux et le comte du Poitou, surtout dans le troisième quart du XIIIe siècle. Par exemple, Yolande de Dreux, veuve de Hugues XI, se plaint en 1254 des agissements du sénéchal du Poitou, Thibaud de Neuvy, et en général, des "gens du royaume" qui cherchent probablement à renforcer l'emprise des Capétiens sur ce territoire.
Finalement, le dernier seigneur de Lusignan , Hugues XIII, meurt en 1303 sans héritier direct. En dépit de tentatives de la part de représentants des branches cadettes, le roi de France Philippe le Bel finit par prononcer la commise des biens des Lusignans en 1308. C'est ainsi que le comté de la Marche tombe dans le domaine royal.
Bibliographie :
REMY (Christian), Crozant, forteresse d'exception entre Limousin et berry, éd. Culture et patrimoine en Limousin, Limoges, 2011 ("Collection "approches").
Bernadette Barrière, « Le comté de la Marche, une pièce originale de l’héritage de Lusignan. » ; Christian Rémy, « Le château des Lusignans à Crozant (Creuse). », dans Isabelle d’Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246), Actes du colloque tenu à Lusignan du 8 au 10 novembre 1996, Civilisation Médiévale, CESCM, Poitiers, 1999, p. 27-36 et 149-160.